sábado, 3 de maio de 2025

Vladimir Kara-Mourza (RFI, 14/4/2025)


Lien raccourci : fishuk.cc/karamurza-rfi


Le matin du 14 avril 2025, le politicien et historien russe Vladimir Kara-Mourza a concédé une interview à la Radio France Internationale (RFI) pour parler de son opposition à la dictature de Vladimir Poutine, sa prison en Russie et sa vie dans l’exil. Ci-dessus on peut regarder l’intégralité de son entretien avec Arnaud Pontus sur la chaine officielle, mais j’ai trouvé son contenu si important que j’ai décidé, même sans autorisation, d’en publier la transcription.

J’ai utilisé le logiciel Microsoft Clipchamp pour Windows 11 à fin d’extraire de la vidéo une première version des sous-titres par IA, après j’ai confronté le résultat avec l’audio et enfin j’ai finalisé la rédaction finale du texte. Kara-Mourza parle couramment le français, mais j’ai dû supprimer les traits les plus répétitifs d’oralité et corriger la grammaire. Comme le français n’est pas aussi ma langue maternelle, mon travail peut ne pas être parfait, mais j’espère avoir fait une contribution à ceux qui étudient « la langue de Molière » ou qui, par n’importe quelle raison, préfèrent avoir le texte écrit :


Bonjour, Vladimir Kara-Mourza !

Bonjour, merci beaucoup pour l’invitation.

Merci à vous d’être sur RFI aujourd’hui. Il y a 3 ans, en avril 2022, vous avez été arrêté puis condamné à 25 ans de prison pour haute trahison. La justice russe vous reprochait d’avoir critiqué l’invasion de l’Ukraine. Vous avez été libéré en aout dernier lors du plus grand échange de prisonniers avec l’Ouest depuis la fin de la guerre froide. Comment allez-vous aujourd’hui, 8 mois après votre libération ?

Ça me semble parfois encore que je regarde un film, parce que, à dire la vérité, j’étais absolument sûr que j’allais mourir dans cette prison en Sibérie. Cet échange en aout dernier, c’était un miracle, et en fait c’était le premier échange depuis 1986, qui a libéré non seulement les otages, les citoyens occidentaux qui étaient dans les prisons russes, mais aussi les prisonniers politiques russes. Et ça, pour moi, c’était un message très important, très clair et très fort des pays occidentaux, surtout les États-Unis et l’Allemagne. Et le signal était qu’ils comprennent très bien que les vrais criminels sont au Kremlin. Ce sont les gens qui ont commencé la guerre en Ukraine. Ce n’était pas nous qui étions en prison, parce qu’on nous avait exprimé contre cette guerre. Et c’était aussi un message très fort de solidarité de la part des pays occidentaux avec tous ces gens en Russie. Il y a des millions de gens en Russie aujourd’hui qui sont contre cette guerre, qui sont contre le régime autoritaire de Vladimir Poutine et c’est très important que le monde libre s’est exprimé comme ça

Aujourd’hui, Vladimir Kara-Mourza, la guerre continue en Ukraine. Les discussions pour un cessez-le-feu n’ont toujours pas abouti. Est-ce que vous le souhaitez, ce cessez-le-feu ?

Je veux que cette guerre se termine le plus vite possible, parce qu’il y a déjà des centaines de milliers de vies humaines qui sont perdues à cause de cette agression, à cause de cette guerre criminelle menée par le régime autoritaire de Vladimir Poutine.

Mais pour que la guerre s’arrête, il faut que Poutine le veuille. Est-ce que Vladimir Poutine veut la paix ?

Non, bien sûr qu’il ne veut pas la paix. Et il faut dire que vous avez utilisé la phrase « cessez-le-feu », ça c’est absolument correct. On ne peut pas dire « la paix », parce qu’il n’y aura pas de paix pendant que Vladimir Poutine reste au pouvoir.

C’est à dire, il ne peut pas y avoir de paix totale et véritable tant que Vladimir Poutine est au pouvoir ?

À long terme, la seule façon d’assurer la paix, la stabilité et la sécurité sur le continent européen, à long terme, c’est d’avoir une Russie démocratique, une Russie qui va respecter les lois, les droits et les libertés de nos propres citoyens, et aussi qui va respecter les frontières de ses voisins et les normes du comportement civilisé dans le monde. Parce qu’en Russie, la répression à l’intérieur et l’agression à l’extérieur vont toujours ensemble, donc il n’y aura pas de paix pendant que Poutine reste au pouvoir. Mais le cessez-le-feu est possible.

Alors, vous dites aussi que tout accord de cessez-le-feu doit prévoir la libération de tous les prisonniers de guerre.

Absolument ça. Pour moi, ça c’est le plus important, parce que pour l’instant on voit ces négociations entre les représentants de l’administration Trump aux États-Unis et le régime de Poutine en Russie. Et ils parlent de minéraux, ils parlent du retour des compagnies américaines en Russie, ils parlent des avoirs gelés, je ne sais pas de quoi, ils parlent tout le temps d’argent. Et en fait, les deux envoyés, Monsieur Witkoff du côté américaine et Monsieur Dmitriev du côté russe, ce sont des gens qui ont dédié leurs vies à l’argent, n’ont rien à faire avec la diplomatie. Et donc, pour ça c’est même plus important que l’Europe, l’Union européenne pose cette question, comme vous avez dit, de la libération de tous les otages, de tous les captifs de cette guerre. Parce qu’il y a des centaines de milliers de vies humaines qui ont été déjà perdues et on ne peut pas les faire retourner. Mais c’est possible encore de sauver les dizaines de milliers de vies humaines, des gens qui sont des otages et des captifs de cette guerre. Je parle, bien sûr, des prisonniers de guerre des deux côtés, mais ça c’est prévu par la 3e Convention de Genève, donc ça c’est hors question. Je parle aussi des milliers d’otages civils ukrainiens qui ont été forcément déportés en Russie

Notamment les enfants.

Je parle aussi des milliers d’enfants ukrainiens qui ont été kidnappés. En fait, si on dit la vérité à la Russie ou dans les territoires occupés par la Russie et, ça c’est très important, je parle aussi des prisonniers politiques russes, les citoyens russes, mes concitoyens qui sont en prison aujourd’hui parce qu’ils se sont exprimés contre cette guerre d’agression, ce qui est arrivé à moi. Mais maintenant, pendant qu’on parle avec vous, il y a, selon les organisations de défense des droits humains, il y a plus de 1 500 prisonniers politiques en Russie. La catégorie la plus nombreuse parmi eux, ce sont les Russes qui se sont exprimés contre cette guerre criminelle. Et pour beaucoup d’entre eux, comme par exemple Alexeï Gorinov ou Maria Ponomarenko et beaucoup d’autres, ce n’est pas seulement une question de captivité, ce n’est pas seulement une question d’emprisonnement illégal, mais c’est aussi une question de vie ou mort, et il faut sauver ces gens-là.

Vladimir Kara-Mourza, vous nous dites, les émissaires russes et américains ne parlent que d’argent. Est-ce que la méthode qu’applique le président Trump vous semble être la bonne ? Est-ce que vous comprenez cette logique ?

Je crois que la politique de l’administration actuelle des États-Unis est honteuse, elle est complètement contre-productive, parce qu’en fait c’est une politique de rapprochement, de normalisation des relations avec Vladimir Poutine. Et je voudrais rappeler à tout le monde que Vladimir Poutine, d’abord, il n’est pas un président légitime. Il reste au pouvoir depuis 25 ans, même s’il y a une limite constitutionnelle en Russie de deux termes, il a trouvé des trucs pseudo-légales pour contourner cette limite constitutionnelle. Et il faut rappeler aussi que l’année dernière, en 2024, le Parlement européen et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ont passé des résolutions reconnaissant Vladimir Poutine pour ce qu’il est : un usurpateur illégitime. Mais il est plus que ça. Il est aussi un assassin. Il est un meurtrier. Parce que c’est sous son commandement que les deux chefs principaux de l’opposition démocratique russe, Boris Nemtsov et Alexeï Navalny, ont été assassinés. C’est sous son commandement qu’il y a des gens qui meurent chaque jour en Ukraine, y compris des enfants récemment à la ville de Krivoï Rog [ukr. Kryvy Rih]. Pendant tous les 25 ans que Vladimir Poutine reste au pouvoir, il tue, il tue, il tue, il tue, il tue à l’intérieur de la Russie, il tue en dehors de la Russie. Et c’est important de rappeler tous ces dirigeants occidentaux, surtout américains, qui veulent normaliser les relations avec Vladimir Poutine, qui veulent rendre cette légitimité à Vladimir Poutine qu’il ne mérite pas et qui veulent encore une fois serrer la main de Vladimir Poutine, c’est important de les rappeler que c’est une main couverte de sang.

Vous craignez que, dans le sillage de Donald Trump, certains considèrent que Vladimir Poutine est redevenu fréquentable ?

Mais on le voit. Si on regarde ce que Monsieur Trump a fait dans ces derniers deux mois, depuis qu’il est retourné à la Maison Blanche. Il a invité Vladimir Poutine à rejoindre le G8. L’Amérique a voté à l’ONU contre l’Ukraine, avec la Russie, avec la Biélorussie, avec la Corée du Nord. Comme on se souvient, les États-Unis ont suspendu l’aide, l’assistance militaire à l’Ukraine, ce qui a causé des centaines de morts en Ukraine à cause de ça. Et puis on voit aussi, si on parle des actions pratiques, l’administration Trump a totalement détruit l’infrastructure internationale de l’assistance pour la démocratie et les droits humains. Et maintenant l’administration Trump est en train de détruire le système des médias américains qui diffusait l’information objective non seulement pour les Russes, mais aussi pour des Cubains, pour des Iraniens, pour des Chinois, pour des millions et des millions de gens autour du monde qui vivent actuellement sous des régimes autoritaires.

Vous le disiez tout à l’heure, l’objectif, votre objectif, c’est d’arriver à une Russie démocratique. Dans une société qui est aussi verrouillée que la Russie aujourd’hui, avec une propagande qui est omniprésente, comment est-ce que l’opposition peut diffuser son message ?

En fait, pour moi, l’une des raisons principales de la chute du régime communiste était le fait que ce régime, au début des années 90, avait déjà été délégitimisé aux yeux d’une large partie de la population grâce aux programmes de radio qui étaient diffusés par les pays occidentaux et qui étaient écoutés par des millions et des millions de gens en Union soviétique et dans d’autres pays communistes. Et en fait, c’étaient les mêmes gens qui écoutaient, disons, à la Radio Liberté dans les années 70 qui sont allés aux barricades en aout 1991 pendant notre révolution démocratique en Russie. Si c’était possible de faire ça avec les technologies des 1970, c’est surement possible de le faire maintenant. Maintenant il y a l’internet. Oui, il y a une grande censure de l’internet sous le régime de Poutine, mais il y a des VPN, il y a d’autres moyens pour contourner cette censure. Le problème, c’est qu’on voit très souvent que l’Occident, les entreprises occidentales et les gouvernements occidentaux, au lieu d’aider les citoyens russes à avoir cette vérité, à avoir cette information objective, on voit les compagnies occidentales aider le régime de Poutine à censurer cette information, par exemple...

Sont complices, en fait.

Absolument, elles sont complices. Dans quelques derniers mois, par exemple, la très connue compagnie américaine Apple a enlevé plus de 50 systèmes de VPN, le système qui aide les gens à contourner la censure, à la demande du régime de Poutine. Ce n’était pas le régime de Poutine qui l’a fait, c’était Apple. Et comme je viens de vous dire, maintenant l’administration Trump est en train de détruire le système des médias internationaux. Et il y a quelques jours, la cheffe de la chaine principale de propagande russe Russia Today, Margarita Simonian, était sur la télé très heureuse des actions de l’administration américaine. Elle a dit que nous, malheureusement, nous n’avons jamais pu en finir avec ces médias. Mais maintenant, c’est les États-Unis d’Amérique qui le font eux-mêmes,

Ils le font. Où est l’alternative démocratique en Russie, Vladimir Kara-Mourza ?

Il y a des millions et des millions de gens en Russie qui sont contre cette guerre, qui sont contre ce régime, qui veulent que la Russie soit un pays normal, civilisé, européen, démocratique. On a vu par exemple, l’année dernière, pendant le théâtre qu’étaient nos « élections présidentielles », entre guillemets. Quand c’était...

Mascarade, vous voulez dire, c’était du cinéma ?

Enfin, c’était juste Poutine et quelques clowns qu’il avait sélectionnés. Mais, en même temps, il y avait un candidat, un avocat, un ex-député du Parlement russe, il s’appelle Boris Nadejdine, qui a annoncé sa candidature à la présidence russe comme un candidat anti-guerre. Il a dit qu’il était contre la guerre en Ukraine. Et la réaction publique était complètement incroyable. Tout d’un coup, on a vu partout en Russie les files d’attente, les queues énormes, des gens qui voulaient signer les pétitions pour faire registrer ce candidat. J’étais en prison à l’époque et je recevais beaucoup de lettres de toute la Russie et presque chaque lettre était à propos de ces queues énormes, des gens qui votaient avec leurs pieds, si vous voulez, pour le candidat anti-guerre. Parce que la propagande poutinienne veut que tout le monde croie que tous les Russes soutiennent la guerre, tous les Russes soutiennent le régime. Mais vous savez qu’ils peuvent falsifier les élections, ce qu’ils font, ils peuvent falsifier les sondages, ce qu’ils font. Mais il n’y a rien qu’ils puissent faire avec les images des milliers et des milliers de gens partout en Russie qui croient en un avenir démocratique et paisible.

Donc il y a une soif démocratique en Russie et au-delà ?

Il y a beaucoup de gens qui veulent des changements. Il y a beaucoup de gens qui veulent que ce régime finalement perde le pouvoir. Et j’ai aucun doute, non seulement comme un homme politique, mais surtout aussi comme un historien, que le jour viendra quand la Russie sera un pays normal, civilisé et démocratique, et ce jour-là, on pourra finalement avoir une Europe qui sera libre, entière et en paix.

Vladimir Kara-Mourza, je le disais au début de l’entretien, vous avez été libéré en aout dernier après avoir passé deux ans et trois mois en prison. Comment avez-vous fait pour tenir tout ce temps, dont 11 mois à l’isolement ?

Absolument. En fait, selon la loi internationale, l’isolement de plus de 15 jours est officiellement considéré comme une forme de torture. Et je n’avais jamais compris pourquoi, mais maintenant je comprends très bien, parce que, quand tu restes tout le temps dans cette petite cellule, quatre murs, une petite fenêtre avec des barreaux métalliques, tu es seul tout le temps. Tu ne peux pas parler à personne, tu ne parlais nulle part. Tu ne peux rien faire, parce que, par exemple, même pour écrire, ils te donnent papier et stylo seulement pour une heure et demie pendant chaque jour, puis ils te les prennent. Et aussi, c’était interdit pour moi d’appeler à ma femme, d’appeler à mes enfants, je ne pouvais pas les contacter par téléphone. Ça, c’est une vieille pratique soviétique : quand le régime veut punir non seulement les opposants politiques, mais aussi leurs familles. Et c’est... je vais être honnête avec vous, c’est très difficile, dans des circonstances comme ça, de garder la tête. Il est très important de remplir la tête avec quelque chose d’important, de remplir le cerveau, si vous voulez, remplir le temps aussi. Et donc, moi, j’apprenais l’espagnol, j’avais un livre que je lisais tout le temps, du matin au soir, j’apprenais l’espagnol. Et évidemment je ne pensais jamais que j’allais l’utiliser, parce que, comme j’ai déjà dit, je ne croyais pas que je vais sortir. Mais après ce miracle de cet échange, l’année dernière, il y a quelques semaines, j’étais à Madrid pour des rencontres, pour des réunions avec des députés espagnols. Je pouvais pratiquer et apparemment maintenant je peux parler l’espagnol.

Donc aussi parler espagnol ?

Oui, même le temps en prison peut être utilisé pour quelque chose pratique.

À quoi ressemble votre vie aujourd’hui ? C’est celle d’un exilé ? Est-ce que vous vous sentez libre ?

Je me sentais libre même en prison, parce que je restais toujours avec mes convictions, je restais toujours avec mes principes. Ils peuvent te mettre en prison physiquement, mais ils ne peuvent pas arrêter ton esprit. Et maintenant, c’est un peu fou, parce que le problème, c’est que je n’ai vraiment pas eu de transition entre l’isolement dans une prison sibérienne et la vie de maintenant, quand je suis, je ne sais pas, dans quatre ou cinq pays différents chaque semaine, c’est un peu fou, à dire la vérité. Mais il y a tellement de choses à faire, il y a tellement de problèmes à discuter, parce que, comme j’ai déjà dit, il y a plus de 1 500 prisonniers politiques en Russie et pour beaucoup d’eux, c’est la question de survivre littéralement. Et il faut faire tout ce qu’on peut pour libérer ces gens-là dont le seul « crime », entre guillemets, c’est le fait qu’ils ne sont pas restés silencieux en face des atrocités commises par le régime de Vladimir Poutine.

Et est-ce que vous vous sentez menacé, observé, tout en étant en dehors de la Russie ?

Je n’y pense pas, parce que c’est une route vers la paranoïa, et ce n’est pas la route que je veux prendre. Je sais que j’ai raison, je sais que ce que je fais est correct et je sais que je suis du bon côté de l’histoire. Je sais aussi que ce que font nos collègues dans l’opposition démocratique russe, c’est important et je vais continuer à le faire malgré tout.

Merci beaucoup, Vladimir Kara-Mourza, d’être venu sur RFI.

Merci à vous, c’est un plaisir.

Et bonne journée.



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